Les catastrophes naturelles telles que les séismes, les incendies, les ouragans et les tornades peuvent détruire des vies, mais c’est également le cas des conflits et des autres catastrophes d’origine humaine. Ces événements peuvent paralyser la croissance économique, approfondir encore plus la pauvreté et causer de terribles souffrances aux collectivités concernées.
Plus inquiétant encore, avec des vecteurs tels que la croissance démographique, l’urbanisation rapide et le dérèglement climatique, cette tendance n’est pas près de ralentir et menace les pays les plus vulnérables de la planète. Alors que la population afflue en masse vers les villes et que les entreprises investissent à l’échelle locale, de plus en plus de personnes et de biens se trouvent concentrés dans des zones à risques. Il devient donc urgent de réduire la vulnérabilité et d’améliorer la capacité d’adaptation de ces collectivités. La meilleure parade contre les catastrophes consiste à se doter d’un plan et à bien cerner les mesures à prendre.
Évaluer les coûts
Sur les dix dernières années, les pertes économiques mondiales liées aux catastrophes naturelles ont été estimées à environ USD 200 milliards, alors qu’elles s’élevaient à USD 50 milliards seulement dans les années 1980, selon la Banque mondiale.
Les catastrophes naturelles conduisent généralement à un affaiblissement de la croissance économique et une dégradation des équilibres budgétaires et des soldes d’échanges extérieurs. Elles ont également un impact significatif sur la pauvreté et le bien-être social. À cet égard, les pays en développement, et notamment leurs populations les plus vulnérables, sont particulièrement exposés.
En 2004, l’un des plus grands séismes jamais enregistrés a frappé les côtes de l’Indonésie en provoquant un tsunami dévastateur pour des communautés tout entières dans l’océan Indien. Plus de 230 000 personnes ont trouvé la mort dans le raz-de-marée qui s’est abattu sur le littoral à la suite de ce tremblement de terre de magnitude 9,1. Pour compléter ces chiffres effrayants, les pertes économiques de la région s’évaluent à USD 14 milliards (au cours actuel) – un montant qui aurait été nettement supérieur si la valeur des terrains des zones touchées avait été plus élevée.
Une aide pour les plus vulnérables
Les pays en forte croissance peuvent faire face à des situations potentiellement catastrophiques sans que cela n’affecte véritablement leur développement socio-économique. En revanche, il n’en va pas de même pour la majorité des pays en développement.
Kevin Knight, Président du comité technique de l’ISO sur le management du risque, souligne d’ailleurs qu’« à chaque nouvelle catastrophe, la grande majorité des pays en développement sombrent un peu plus dans la pauvreté et le marasme économique, faute ou presque, de moyens financiers ou sociaux pour gérer ces événements et, a fortiori, pour se sortir économiquement indemnes de ces crises. Bien souvent, les pays n’ont pas eu le temps de se relever qu’une autre catastrophe se produit ».
Après le chaos laissé dans l’océan Indien, la communauté internationale s’est réunie pour mettre en place un programme sur dix ans destiné à réduire les risques de catastrophe, dans ce qui allait devenir le Cadre d’action de Hyogo. Ce cadre a permis de guider les efforts de développement pour garantir une meilleure résilience des collectivités face aux traumatismes provoqués par les catastrophes naturelles.
Même si de nombreux progrès ont été réalisés au cours des dix dernières années, les pertes et l’exposition au risque de catastrophe ne cessent de croître, ce qui pousse les gouvernements à anticiper. Lors de la Troisième Conférence mondiale des Nations Unies sur la réduction des risques de catastrophe (WCDRR) qui s’est tenue en mars 2015 à Sendai, au Japon, les délégués ont adopté le Cadre de Sendai pour la réduction des risques de catastrophe, qui a fixé sept objectifs et quatre actions prioritaires pour les 15 prochaines années.
Ces quatre priorités stratégiques se concentrent sur « une meilleure compréhension des risques de catastrophe, le renforcement de la gouvernance des risques de catastrophe pour mieux les gérer et, inévitablement, l’investissement dans la réduction des risques aux fins de la résilience. Une quatrième priorité appelle à renforcer l’état de préparation aux catastrophes pour intervenir de manière efficace et reconstruire en mieux » durant la phase de relèvement, de remise en état et de reconstruction, pour lesquels les services climatiques sont particulièrement pertinents.
Une vie citadine de qualité
Le Bureau des Nations Unies pour la réduction des risques de catastrophe (UNISDR), qui a fait office d’organe de coordination pour la WCDRR et facilité le processus d’examen du Cadre existant de Hyogo, a signé un accord avec le Conseil mondial des données urbaines (WCCD) – dont la Présidente-Directrice générale est Mme Patricia McCarney – destiné à mettre en œuvre une nouvelle norme ISO (ISO 37120) dans 45 villes qui participent déjà à la campagne de l’UNISDR « Pour des villes résilientes ».
Le WCCD pilote le déploiement mondial de la norme ISO 37120, Développement durable des collectivités – Indicateurs pour les services urbains et la qualité de vie. Il s’agit de la première norme ISO qui traite de la question de la durabilité et de la résilience des villes. Elle se fonde sur 100 indicateurs permettant de surveiller et de mesurer la performance des services urbains et de la qualité de vie. « La norme ISO 37120 influence l’approche que les villes peuvent avoir de la durabilité », explique Patricia. « Les villes ont besoin d’une méthodologie cohérente pour pouvoir faire face aux défis liés aux changements environnementaux mondiaux, à l’urbanisation galopante et à l’obsolescence des infrastructures urbaines. Le WCCD est fier d’avoir montré l’exemple en faisant en sorte que les normes ISO sur les villes deviennent des outils indispensables pour les collectivités urbaines du monde développé ou en développement. »
e WCCD a lancé en mai un portail dédié aux données concernant les villes (WCCD Open Data Portal) accessible à l’adresse suivante www.dataforcities.org. Cet outil novateur permet à toutes personnes – gestionnaires municipaux, enseignants ou grand public – d’accéder aux données des villes de la Fondation WCCD qui ont mis en œuvre la norme ISO 37120, à savoir, notamment, Londres, Toronto, Boston, Shanghai, Los Angeles et Dubaï. Le WCCD est en passe de s’élargir à 100 nouvelles villes, ce qui augmente considérablement les données comparatives, déjà nombreuses, disponibles sur le portail.
Lancée il y a quatre ans, la campagne de l’UNISDR « Pour des villes résilientes » couvre 2 500 grandes et petites villes participantes, avec une population globale d’environ 700 millions de personnes. « Quarante-cinq villes mentors sont prêtes à mettre en œuvre la norme ISO 37120 pour des villes durables et résilientes. Nous travaillerons main dans la main avec le WCCD pour agrandir la famille des normes ISO pour les villes », a déclaré Margareta Wahlström, Chef de l’UNISDR.
Le groupe de travail GT 2 du comité technique ISO/TC 268 (également présidé par Patricia McCarney) élabore une nouvelle famille de normes ISO, qui vient compléter ISO 37120. Ces travaux comprennent le futur rapport technique ISO/TR 37121 sur le recensement et l’analyse des indicateurs existants sur le développement durable et la résilience des villes et le projet récemment validé visant à mettre au point une nouvelle norme sur les villes intelligentes.
L’un des objectifs principaux de la collaboration entre l’UNISDR et le WCCD consiste à garantir que les dix points essentiels de la campagne « Pour des villes résilientes » soient incorporés dans les travaux de l’ISO sur le sujet. La nécessité d’élaborer des normes ISO permettant de formuler des indicateurs pour des villes résilientes prend tout son sens après des catastrophes environnementales aussi graves que le séisme au Népal ou l’ouragan Sandy, car elles ont des implications pour les villes et leur capacité à se préparer à de tels sinistres, mais aussi pour lever des fonds auprès des pouvoirs publics nationaux ou des instances internationales, ainsi qu’au niveau des primes d’assurance. « Ces projets visant à élaborer des normes pour les villes représentent une perspective prometteuse qui va considérablement contribuer à améliorer la qualité de vie en ville dans le monde entier, poursuit Patricia. »
Investir dans la résilience
De nos jours, de nombreux pouvoirs publics locaux développent des capacités de résilience afin de pouvoir parer à toute éventualité, l’essentiel du débat étant focalisé sur la question des infrastructures physiques. Un effort important doit être consenti pour prémunir nos villes contre les conséquences du dérèglement climatique – de la construction de digues ou de l’installation de lignes électriques étanches, jusqu’à l’instauration de codes de construction plus stricts.
Selon Kevin Knight, la prévention est essentielle. « La prévention des risques de catastrophe implique que les gouvernements doivent s’engager consciemment à investir dans le renforcement et le rehaussement des ponts, l’amélioration de la conception des routes et du drainage, la réalisation d’ouvrages pour atténuer les risques d’inondation et d’autres travaux de génie civil associés, en vue d’une meilleure résilience face aux dommages liés aux catastrophes. Il s’agit de dépenser pour des infrastructures, plutôt que pour le déblayage et la reconstruction de ces infrastructures après chaque catastrophe. »
Alors que peut-on faire ? Par exemple, explique Kevin, en surélevant et en consolidant les ponts ferroviaires, on peut limiter les perturbations du trafic et la gêne pour les collectivités puisqu’il n’y a plus lieu de reconstruire, et on peut faire rouler toute l’année des trains plus importants, ce qui apporte un réel gain de productivité pour l’économie nationale.
Au-delà des problèmes de construction individuels, la Présidente du nouveau comité technique ISO/TC 292 sur la sécurité, Åsa Kyrk Gere, préconise une approche globale : « J’estime qu’il nous appartient à tous, et non pas seulement aux pouvoirs publics, d’adopter une approche plus globale. Tout le monde doit s’impliquer : les pouvoirs publics, les entreprises, les organisations et la population doivent œuvrer ensemble et collaborer à la création d’une société plus sécurisée et plus résiliente, où chacun s’engage et assume ses responsabilités. C’est aussi pour cela qu’il faut des normes. » (Voir l’entretien d’Åsa en page 14 pour plus d’informations
Infrastructures sociales
Roger Estall, l’un des principaux auteurs de la norme australo- néo-zélandaise sur le management du risque lié aux perturbations, considère également que l’infrastructure sociale d’une collectivité constitue un élément important pour épargner les vies.
De septembre 2010 à décembre 2011, une série d’importants séismes a fait des ravages dans la région de Canterbury, et plus particulièrement à Christchurch, en Nouvelle-Zélande. Même si 185 personnes ont perdu la vie dans cette catastrophe, ce qui en fait la deuxième catastrophe naturelle la plus meurtrière de l’histoire du pays, le bilan est nettement moins lourd que dans certains pays en développement. Alors comment la région s’est-elle préparée ?
Des études scientifiques menées à la fin du siècle dernier montrent que le risque de séisme était connu depuis longtemps dans cette région. Les politiques publiques avaient donc été renforcées, de sorte que les bâtiments et les infrastructures les plus récents ont pu résister aux secousses et les nombreux bâtiments plus anciens ayant une valeur stratégique ou historique ont été consolidés. L’objectif le plus important était de sensibiliser la population pour que les Néo-zélandais connaissent les mesures de sécurité à prendre. En 2005, le Ministère néo-zélandais de la Protection civile et de la gestion des situations d’urgence a adopté une initiative pour intégrer le message de prévention dans les programmes nationaux, en se concentrant principalement sur les écoliers du primaire âgés de 8 à 12 ans.
Roger souligne malgré tout qu’en dépit des efforts d’anticipation, la solidarité et les premiers secours sont essentiellement venus de la collectivité elle-même. « À Christchurch, la plupart des personnes prisonnières des décombres ont été secourues par les habitants eux-mêmes, et non pas par les équipes professionnelles de recherche et sauvetage en milieu urbain. Un étudiant a pu à lui seul, grâce aux médias sociaux, mettre sur pied très rapidement toute une armée très organisée, pour aider toutes les personnes privées de services publics ou de nourriture et déblayer les tonnes de gravats accumulés dans les maisons.
Une stratégie complète
Alors en quoi au juste les normes ISO peuvent-elles aider ? En vérité, les normes jouent un rôle primordial pour établir une stratégie plus complète contre les catastrophes.
Les normes ISO procurent une aide à la gestion efficace des risques liés aux catastrophes, en établissant un langage commun et un processus uniformisé pour les différents niveaux de gouvernement, local, provincial, national et régional. « Les normes offrent des lignes directrices pour cerner les risques liés aux catastrophes naturelles, et elles permettent également d’identifier et de mettre en œuvre les meilleures solutions à adopter, avant ou après la catastrophe. »
La norme ISO 31000, Management du risque – Principes et lignes directrices (actuellement en cours de révision), élaborée par l’ISO/TC 262, est utilisée dans de nombreux pays pour comprendre et enrayer les risques liés aux catastrophes, en mettant en place des structures de management, en réduisant les vulnérabilités et en établissant des plans pour faire face aux catastrophes naturelles ou du fait de l’homme, avant et après leur survenue. L’ISO/TC 292 est aussi responsable d’un large éventail de Normes internationales sur la gestion de la sécurité et de la continuité des affaires, destinées à appuyer les organisations dans leurs efforts de préparation aux situations d’urgence et aux catastrophes.
Autrement dit, l’ISO/TC 292 élabore des normes pour toutes les phases – avant, pendant, et après – les événements. Il se consacre également à la résilience des organisations et à la gestion de la continuité des affaires pour soutenir les organisations dans les initiatives mises en œuvre pour identifier et réduire leurs risques, en atténuer les conséquences, et renforcer leur capacité à se préparer et à faire face à ces situations.
Åsa Kyrk Gere précise que s’il y a urgence à se préparer, c’est parce qu’« aujourd’hui, et encore plus dans le futur, les organisations devront toutes se responsabiliser davantage pour éviter et limiter leurs risques, tout en se protégeant contre tous types de dangers et de menaces. Toutes les organisations ont un rôle à jouer dans la construction d’une société plus sécurisée et plus résiliente. Nous travaillons actuellement sur de nombreuses normes relatives à la terminologie, la continuité et la résilience, la gestion des situations d’urgence, les mesures de prévention et de contrôle de la fraude et les outils de lutte contre la contrefaçon, la résilience de la population et des collectivités, et la sécurité privée ».
L’après-2015
Si nous ne réagissons pas de manière significative, l’étendue et l’impact des dommages économiques et sociaux causés par les catastrophes ne feront que s’aggraver au cours des 20 prochaines années, principalement en raison de l’exposition croissante de la population et des biens. Dans les zones durement touchées, cela risque d’inverser la courbe du progrès et du développement.
Selon le Cadre de Sendai, « les catastrophes, souvent exacerbées par les changements climatiques ne cessent de croître en fréquence et en intensité et entravent les progrès réalisés sur le plan du développement durable. Il faut d’urgence prévoir, planifier et réduire le risque de catastrophe pour protéger plus efficacement les êtres humains, les collectivités et les pays... et gagner ainsi en résilience ».
Åsa le dit très bien : « Seule une approche collective permettra de réussir. Nous devons tous travailler ensemble. L’adoption de réglementations, de lignes directrices et de normes clairement définies est cruciale dans la phase de reconstruction, afin de reconstruire mieux. Cela signifie qu’il faut un engagement majeur de la part des organisations et des autorités compétentes pour élaborer des textes à même de garantir la prévention active de nouveaux risques et de limiter les dangers restants. Il s’agit d’un engagement à long terme. »
Alors a-t-on trouvé la solution miracle ? On y travaille encore. Mais une chose est sûre : si les normes ne peuvent rien contre la fréquence et l’intensité des catastrophes, elles peuvent néanmoins réduire le fardeau financier et les conséquences sociales qui en découlent. En tout état de cause, elles offrent une solution rentable aux pays du monde entier pour améliorer rapidement leur sécurité et leur résilience.